Vigilance sur la Taxonomie Européenne

Taxonomie européenne

La vigilance s’impose sur les placements

Les associations et fondations retrouveront-elles des fonds « Investissements socialement responsable (ISR) contenant de l’investissement nucléaire quand elles placeront leur trésorerie en fonction de la nouvelle taxonomie européenne ? Oui, car le nucléaire est désormais défini comme vert dans la taxonomie de l’ISR.

Le 2 février 2022, la Commission européenne a présenté un acte délégué, validé le 7 juillet par le Parlement, autorisant gaz et pétrole à faire partie de la taxonomie européenne. Pour autant, « verdir » signifie-t-il « durable » ? Non. Les énergies seront classées en trois catégories : la « verte » qui contribue à l’environnement de façon significative sans le nuire sous d’autres aspects comme l’éolien ; celle qui « permet la transition » mais qui n’est pas « verte » en soi[1] ; celle dite de « transition » qui inclut des activités avec un impact carbone fort quand il n’y a pas encore d’alternative bas carbone aujourd’hui.

Comment se prennent ces décisions de classement ? Les associations et fondations investisseurs trouveront-elles une information suffisante pour prendre des décisions éclairées ? Cette taxonomie entraînera-t-elle des bouleversements économiques à grande échelle ? Explications.

État des lieux de la taxonomie

Pour rappel en matière d’ISR il existe différents labels[2]. Le label ISR créé en France en 2016 était précurseur mais a dû être réformé pour tenir compte de la « taxonomie européenne ». Depuis le 1er janvier 2022, la taxonomie[3] des activités économiques définit l’ensemble de critères déterminant si une activité économique est durable sur le plan de l’environnement. Les fonds d’investissement choisiront donc les entreprises favorisant les faibles émissions carbone. Atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 est l’objectif affiché par l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI)[4].

Tout l’enjeu est que le Green deal[5] force les investissements à devenir « durables » et que les politiques économiques « verdissent » avec cohérence dans toutes les politiques européennes relatives à l’énergie, l’industrie, les transports ou l’agriculture.

Techniques de gestion

La Commission européenne prône le volontarisme pour établir des normes. Elle le fait en coconstruction avec les industriels et les États membres aux intérêts divergents. S’éloigne-t-elle de la vision de Milton Friedman où le capital prédominait ?

Pour répondre à cette question, il convient de prendre l’exemple du nucléaire et du gaz qui viennent d’être définitivement traités et qui ne faisaient pas initialement partie de cette taxonomie, pour comprendre en quoi le directeur financier qui choisit son investissement doit être particulièrement précautionneux et bien entouré. En effet, les techniques de gestion des fonds seront directement concernées. L’Autorité des marchés financiers (AMF) était déjà précurseur et invitait les associations et les fondations à se pencher sur le sujet dès 2016 : « Si chaque approche ISR correspond à une démarche spécifique en matière de sélection des entreprises en portefeuille, les techniques de gestion compatibles avec un produit financier dit “ISR” sont rarement évoquées. Pourtant, la prise en compte de ces deux aspects est fondamentale »[6].

Les décisions de classement reposent avant tout sur des rapports scientifiques du Joint Research Center (JRC)[7] et sont publiées sur le Sustainable Nuclear Energy Technology Platform (SNETP)[8]. Le nucléaire génère une électricité bas-carbone mais il existe un risque d’accident et la vision est incertaine quant au retraitement des déchets en l’état actuel de la science.

Les décisions se prennent sur des critères politiques. Des pays comme la Pologne ou la République Tchèque avaient résolu d’abandonner la filière charbon très polluante, le gaz naturel étant moins nocif que le lignite. De son côté, l’Allemagne était pour le gaz et contre la production des déchets radioactifs et l’émanation de CO2.

Pour la France, obtenir ce classement pour le nucléaire lui permettrait de diminuer ses coûts d’entretien et de poursuivre un programme nucléaire sur des petites centrales, en bénéficiant des fonds européens. Mais si la taxonomie n’avait pas intégré le nucléaire, EDF n’aurait pu émettre d’obligations vertes et le coût de la filière aurait augmenté davantage.

L’association ou la fondation qui investit doit donc plus que jamais consulter la documentation sur les rapports financiers et extrafinanciers du fonds choisi, connaître sa politique d’investissement, vérifier en conséquence les frais du document d’information clé pour l’investisseur (DICI). Enfin, s’appuyer sur l’expertise de son conseiller en investissements financiers.

Qu’engendre la taxonomie sur le plan économique ?

Les bienfaits espérés pour le climat entraîneront-ils plus de valeur sur le plan économique ?

Il convient de prendre cette fois un exemple grand public : le consommateur qui achète un véhicule électrique sans en avoir besoin paye le prix d’un remplacement avant l’heure de son véhicule alors qu’il pourrait se contenter de réparations ultérieures. La seule voiture qui ne pollue pas est celle qu’on ne produit pas. L’industriel, quant à lui, obligé par la réglementation de changer son parc automobile aura investi sans contrepartie d’une amélioration de rentabilité puisqu’il ne produira pas davantage. Il devra donc augmenter ses tarifs pour compenser ses pertes.

La vision de Friedman ne pourra plus s’appliquer dans les pays importateurs d’énergie, car le capitaliste aura été obligé d’investir sans en retirer de bénéfices pour sa propre société. La fiscalité s’alourdira sur les activités non polluantes et s’allégera sur les autres. Le consommateur paiera la note. À l’inverse, dans les pays exportateurs d’énergie, les gains s’amplifieront. Selon le Réseau Action Climat (RAC) France[9], inclure le gaz fossile et le nucléaire dans la taxonomie de l’ISR en dévoie le principe même. Le risque de décrédibiliser la démarche est réel avec l’écoblanchiment[10]. Il faudra aussi entraîner des pays tiers comme la Chine et l’Inde et ne pas se lancer dans des déclarations ambitieuses qui se heurtent à l’incapacité des États à s’entendre pour agir.

Exigence de transparence quant à la part des investissements durables

Il y a une demande de sens dans la société. Mais comment savoir quelle part d’activité durable financent les placements ?

Les sociétés cotées de plus de 500 salariés doivent faire preuve de transparence. Elles déclarent leur chiffre d’affaires correspondant aux activités vertes ou aux investissements dits de « transition ». Pour autant, les méthodes d’analyse ne sont pas encore standardisées. Le SFDR rend même possible l’autoévaluation[11]. Les fonds peuvent être certifiés par des tiers. Nous n’avons pas encore de prix du carbone européen et avons besoin de sa mesure. Comme ce n’est pas encore fait sur le CO2, il existe un risque de décrédibiliser l’action car les notations d’une maison de gestion à une autre ne sont pas comparables et les rapports extra financiers se démultiplient selon les différents labels. Les frais de gestion devraient s’alourdir pour des investissements moins rentables. Le conseiller en investissement financier de l’association ou de la fondation s’obligera[12] à indiquer comment seront atteints, ou comment sont censés être atteints, les niveaux ou les ambitions qu’elle annonce en matière de durabilité.

Pour accompagner les associations et les fondations plus efficacement, à partir du 1er janvier 2023, les conseillers en investissement financier auront l’obligation de leur poser des questions relatives à leur sensibilité ISR. Lorsque les associations et fondations communiqueront aux conseillers leur souhait de soutenir un objectif environnemental précis, ceux-ci devront être en mesure de leur proposer un produit correspondant à leurs préférences, comme exclure certains investissements ayant des conséquences climatiques néfastes ou favoriser les énergies renouvelables par exemple.

[1] Par exemple, une batterie électrique n’est pas durable mais s’utilise pour permettre à d’autres activités de contribuer de manière substantielle à un ou plusieurs objectifs fondamentaux.

[2] JA 2021, no 648, p. 43, étude S. de Brosses.

[3] Taxinomie ou taxonomie ; en anglais taxonomy qui signifie art de la classification.

[4] Les six objectifs environnementaux à retenir pour cette taxonomie sont : l’atténuation du changement climatique, l’adaptation au changement climatique, l’utilisation et la protection des ressources aquatiques et marines, la transition vers une économie circulaire, la prévention et le contrôle de la pollution, la protection et la restauration de la biodiversité et des écosystèmes.

[5] En français, « Pacte vert pour l’Europe ».

[6] AMF, « Investir quand on est une association, une fondation ou une autre institution : les bonnes pratiques », p. 33.

[7] En français, « Centre commun de recherche ».

[8] En français, « Plateforme technologique de l’énergie nucléaire durable ».

[9] https://reseauactionclimat.org.

[10] En anglais green washing.

[11] Règl. (UE) 2019/2088 du 27 nov. 2019, art. 8 et 9.

[12] Ibid.